ELECTIONS PRESIDENTIELLES 2nd TOUR AU NIGER DU 21 FEVRIER 2021

DÉCRYPTONS LES CHIFFRES publiés POUR MIEUX COMPRENDRE

Le 21 Février 2021, quatre millions six-cent quatre-vingt-quatre mille cinq cent soixante-douze (4 684 572) nigériens ont voté au second tour des élections présidentielles qui ont opposé SEM Bazoum Mohamed à SEM Mahamane Ousmane. Soit un taux de participation de 62.91 % annoncé par la CENI (Commission Nationale Indépendante). Le nombre de personnes ajoutées sur les listes additives était 93 237.

Rappelons qu’à l’issue du premier tour couplé aux législatives, des irrégularités et des cas de fraudes ont été dénoncées par certains partis du paysage politique nigérien. Par ailleurs, un communiqué officiel de la CENI diffusé le 21 Février 2021, jour des élections second tour, par l’Office de la Radiodiffusion et Télévision du Niger, a fait état de la circulation de faux bulletins de votes dans plusieurs communes. 

Ce second tour est donc intervenu dans un climat de forte méfiance entre les acteurs politiques, laissant craindre des dérives et des conflits post-électoraux dont la Niger n’a nullement besoin.

Il devenait alors indispensable que ces élections se déroulent en toute transparence et aboutissent à des résultats incontestables pour un Niger uni et en paix.

Dans cette optique, l’ONG ICON (Initiative pour un CO-développement avec le Niger), à travers son programme « Niger Stop Corruption », avait proposé aux Nigériens les 4 règles d’or (VOTECTORS) invitaient chacun à Voter, Observer, Compter/Noter et Sécuriser les Procès-verbaux.

Malgré la mise en œuvre de ce concept dans plusieurs localités du pays, des violences post-électorales sont survenues, dès le lendemain de la proclamation des résultats provisoires par la CENI. 

Pour aider les nigériens à se faire une meilleure idée de la situation, l’ONG ICON a décidé de mener une analyse indépendante des résultats à la lumière des chiffres publiés, à travers 5 principaux indicateurs :  

  1. La Cartographie des électeurs inscrits par région
  2. La Densité des populations par région 
  3. La Répartition des Voix entre les candidats par commune
  4. Le Taux de Participation par commune et région
  5. Et la Répartition du suffrage exprimé valable

A travers cet article, nous partageons nos observations issues de l’analyse des résultats basée exclusivement sur les données publiées par la CENI1.

Cartographie des électeurs inscrits par région

La distribution des poids par région sur les listes électorales par rapport au cumul national est présentée à  la Figure 1. La repartition régionale des électeurs est illustrée par la Figure 1a. On observe que la région de Zinder représente un plus grand nombre d’électeurs avec 20.37% , suivie de Maradi (19.79%) et de Tahoua (19.34%). Tillabéry a un taux d’inscrits de 14.12% suivie de Dosso (12.07 %) puis Niamey avec 6.89 %. Diffa a un taux d’inscrits de 3.98% et Agadez 3.44%. 

On observe que cette répartition et ce classement sont modifiés lorsqu’il s’agit du suffrage exprimé valable. En effet, Zinder qui avait le plus grand nombre d’électeurs se retrouve en seconde position en termes de votes valables (soit un recul dans la répartition d’environ 2%). De la même manière, toutes les régions ont vu leur pourcentage diminuer dans la répartition du suffrage exprimé valable, par rapport au nombre d’inscrits. Toutes, sauf Agadez et Tahoua.  En effet, Agadez est passée de 3,44% dans la répartition des inscrits à 4% des suffrages exprimés valables. Soit une progression relative de 16%.
La région de Tahoua est passée de 19,34% des inscrits à 23% des suffrages exprimés valables, soit une progression relative d’environ 19%.

Figure 1a: Répartition des électeurs inscrits sur les listes électorales

Figure 1b: Répartition du suffrage exprimé valable

Taux de participation et densité de la population

La Figure 2 présente les variations du taux de participation en fonction de la densité  de la population. Cet indicateur montre comment le taux de participation varie entre les communes d’une même région. On pourrait s’attendre à une variation raisonnable dans une même région, du fait des caractéristiques démographiques identiques. Cela dit, rien n’empêche d’avoir un taux de participation élevé dans une commune, alors qu’il est bas dans une autre commune de la même région.

Une faible variation illustre un comportement quasi homogène des populations d’une même région, tandis qu’une variation importante du taux dans une même région suppose une disparité de comportements des populations dans l’exercice de leur droit de vote. Ainsi, cela pourrait laisser supposer que les populations de certaines communes se sont mobilisées massivement pour aller voter tandis que des communes voisines ont marqué moins d’intérêt à cet exercice. 

Globalement, on peut observer qu’il y’a 4 régions dont le taux de participation varie de plus de 15% à travers les différentes communes : Il s’agit d’Agadez, Diffa, Tahoua et Maradi. 

Comme présenté dans la figure 3, on peut observer que certaines communes d’Agadez ont un taux de participation proche de 40% tandis que d’autres de la même région avoisinent des taux de 100%, voire au-delà pour le cas de Timia qui a un taux de participation de 103,07%. Cela suppose que la quasi-totale de la population recensée s’est déplacée pour voter, à laquelle s’ajoute des électeurs de la liste additive.

La faible densité d’Agadez et de Diffa pourrait donner un début d’explication à ces fortes variations constatées, n’eût-été que Tillabéry et Zinder, moins denses que Maradi et Tahoua, ont une variation plus basse (autour de 10%), contre 16 et 18% pour Maradi et Tahoua, comme indiqué dans le Tableau 1.

Tableau 1 : Densité de population par région (source INS 20182)

RégionAgadezDiffaDossoMaradiNiameyTahouaTillaberiZinder
Population5857377142422554 37943409831243453413138434096764487009
Superficie (Km2)667 799156 90633 84441 796255,00113 37197 251155 778
Densité  (Hbts/km2)0,904,6075,50103,904876,3036,4035,1028,80

Les fortes variations à Agadez et à Diffa pourraient également s’expliquer du fait de l’insécurité. Seulement, la région de Tillabéry, aussi en proie à l’insécurité (et peu dense) présente une variation autour de 10%.

La région de Niamey présente la plus faible variation (5,5%), suivie de Zinder avec 9,2%, de Tillabéry (10,6%) et Dosso (11,6%). 

La très faible variation dans la région de Niamey pourrait s’expliquer par une plus grande densité, et une situation sécuritaire plus stable (entre autres).

Par ailleurs, le nombre de communes ne suffit pas, à lui seul, pour expliquer cette faible variation du taux à Niamey (5 communes), car, Zinder (55 communes) et Tillabéry (45 communes) ont un nombre de communes plus important que Tahoua (44 communes), Diffa (12 communes), Agadez (15 communes) et Maradi (43 communes), pourtant elles ont une variation du taux autour de 10%.

Taux de participation par région et répartition des voix 

En considérant le taux moyen national de participation donné par la CENI, proche de 63% et le seuil de variation de 15% observé dans la Figure 2, nous nous fixons un seuil d’observation de 78% sur la Figure 3 afin d’affiner l’analyse.

On note alors que 28 communes sur les 266 que compte le Niger ont un taux de participation supérieur à 78%. Parmi ces communes, sept (7) sont dans la région d’Agadez, 1 à Diffa, 3 à Maradi et 17 à Tahoua. 

Aucune des quatre (4) autres régions du Niger (Niamey, Tillabéry, Dosso et Zinder) n’enregistrent un taux de participation qui atteint ce seuil de 78%. 

On observe que la relation entre la densité de la population et les taux moyens de participation aux élections du second Tour montre que la majorité des régions (6 sur 8) ont des taux de participation moyens inférieurs à la moyenne nationale de 62.91%, à part Agadez et Tahoua.

La région d’Agadez qui a la plus faible densité de population présente un taux moyen de participation supérieur à la moyenne nationale. La même observation est faite pour la région de Tahoua (74.59%), malgré sa faible densité.

La densité de la région de Tahoua (36 hbts/km²) est assez proche de celle de Tillabéry (environ 35 hbts/km²). On pourrait alors s’attendre à ce que les taux de participation de ces deux régions soient proches, de même que les taux de Diffa (environ 5 hbts/km²) et Agadez (environ 1 hbt/km²). 

Les régions les plus denses (Niamey, Maradi, Dosso) ont un taux compris entre 53.94% et 62.66%.   

Figure 4 : Densité de population en fonction du taux moyen régional de participation

Quelle que soit la forme dans laquelle sont présentés les taux de participation, il se dégage une tendance bipolaire avec Tahoua et Agadez en décalage avec les autres régions. Maradi et Diffa s’y ajoutent en considérant les taux maximums supérieurs à 78% atteints dans certaines communes de ces régions. 

A travers les deux graphiques de la Figure 5, on peut observer les distributions des voix obtenues par les deux candidats en fonction du taux de participation dans les 28 communes ayant une participation supérieure à 78% (Figure 5a) et dans les 238 autres communes avec un taux inférieur à 78% (Figure 5b).

Figure 5 a) répartition des voix entre les deux candidats dans les 28 communes ayant un taux de participation supérieur ou égal à 78%. b) répartition des voix entre les deux candidats dans les 238 communes ayant un taux de participation inférieur ou égal à 78%. Les pourcentages des voix de SEM Bazoum Mohamed sont de couleur rose et ceux de SEM Mahamane Ousmane sont de couleur verte.

On constate que les résultats de ces 28 communes sont largement en faveur de SEM Bazoum Mohamed qui obtient des pourcentages de voix compris entre 74.38% et 99.44% tandis que SEM Mahamane Ousmane oscille entre 0.39 et 23.41%. Le cumul des voix dans ces 28 communes donne 95.306% des voix à SEM Bazoum Mohamed et 4.694% pour SEM Mahamane Ousmane.

Les résultats des 238 autres communes présentent des taux de participation compris entre 30% et 78%. On observe une répartition des voix sous forme d’essaim homogène pour les deux candidats, avec une plus forte densité pour des taux de participation compris entre 40% et 70%. 

Ainsi, sur ces 238 communes, où le taux de participation est homogène, SEM Mohamed  Bazoum récolte 49.797% et SEM Mahamane Ousmane 50.203%.

A l’issue de cette analyse, il se dégage les principales observations suivantes :

  1. Les régions plus denses avec des populations sédentaires enregistrent un plus faible taux de participation que les régions les moins denses avec des populations nomades ;
  2. Seules des communes des régions d’Agadez et de Tahoua ont un poids en suffrage exprimé valable supérieur à leur poids dans la répartition des électeurs inscrits sur les listes électorales ;
  3. Il s’avère difficile d’établir une corrélation entre le taux d’électeurs inscrits, la densité de population, la répartition des suffrages exprimés valables et le taux de participation dans certaines régions.
  4. Des taux de participation records compris entre 78.54% et 103% dans 28 communes ainsi que la nette bipolarité entre les deux candidats, contrastant avec beaucoup d’autres communes voisines dans les mêmes régions. 
  5. Au regard des contestations soulevées par l’opposition, les disparités entre les résultats des 28 communes et ceux des 238 autres communes posent de réelles questions quant à leur interprétation.

En conclusion de cette analyse, nous pourrons affirmer que l’un des enjeux principaux du second tour repose sur la crédibilité ou non des résultats annoncés pour les 28 communes en question.

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Note:

1  https://www.ceniniger.org/

2 Source INS Niger, « Tableau de bord social », Institut National de la Statistique, Edition 2018