Je viens d’écouter avec étonnement le discours de la Directrice Générale de la Nigelec concernant le déficit des exercices 2023 et 2024 de la société. Le déficit en soi était prévisible au regard du contexte actuel du Niger, depuis le 26 Juillet 2023. Par contre, s’en plaindre et surtout argumenter le fait que le déficit en 2024 sera beaucoup plus important en l’absence de l’interconnexion au Nigeria sonne comme un essoufflement, voire un aveu d’impuissance, en moins d’un an de résistance populaire. Est-il légitime de baser le modèle et l’équilibre économique de la Nigelec sur l’approvisionnement électrique à partir du Nigeria ?
Du moment que le Nigeria, de manière unilatérale, en violation des contrats et ententes bilatérales, voire multilatérales, a décidé de suspendre l’approvisionnement énergétique, aucune démarche ne devrait provenir du Niger en vue d’un quelconque rétablissement de l’interconnexion. Le respect se mérite et s’impose !
La mise en service de la centrale solaire de Gorou Banda est une heureuse coïncidence, conjuguée à une mobilisation des agents de la Nigelec pour sa mise en service, qui a permis d’améliorer substantiellement la disponibilité énergétique de la région du fleuve.
Néanmoins, le gouvernement aurait dû aller au-delà, en déployant une politique volontariste à la hauteur des enjeux et de l’engagement populaire.
Le Niger a les moyens de mettre en œuvre une indépendance énergétique totale, mais faudrait-il qu’il y ait le courage politique suffisant pour décréter l’Urgence Énergétique et mettre en œuvre rapidement une démarche efficace, impliquant les citoyens et responsabilisant tous les acteurs.
Lors d’un récent séjour, j’étais assez stupéfait par la perte journalière d’énergie de la ville de Niamey, avec plusieurs centaines de lampadaires solaires hors service, probablement par défaut de batteries. J’ai parcouru expressément beaucoup d’artères, de nuit, pour évaluer visuellement les pertes.
Sur chaque petite portion comptabilisant des lampadaires en défaut cumulant une puissance de 1kWc (une dizaine de lampadaires de 100Wc), il est possible de produire une énergie annuelle d’environ 1 628 kWh/an, correspondant à la consommation moyenne annuelle d’électricité de 25 citoyens [1][2] [3]. De l’énergie solaire exploitable est donc perdue tous les jours, dans un pays en déficit d’électricité.
En période de difficultés, aucune économie n’est à négliger, surtout que les panneaux photovoltaïques exposés au soleil produisent tous les jours. La mairie aurait pu exploiter par différentes voies cette énergie. A défaut de pouvoir remplacer les batteries, la production journalière des panneaux aurait pu servir à divers usages, modestes soient-ils. Agir sur tous les leviers, même de faibles amplitudes, participe d’un état d’esprit résilient et d’une volonté d’autonomisation assumée.
Certes, le chemin vers l’autonomie est plein d’embuches, coûte cher souvent mais la liberté et le respect n’ont pas de prix.
Mettre à contribution des citoyens disposant de groupes électrogènes individuels, stimuler le financement citoyen de l’énergie, inventer de nouveaux modes d’usages plus économes en énergie, entamer une réflexion sur les systèmes alternatifs de climatisation ou de construction, impulser le développement de micro-réseaux urbains par l’entreprenariat privé encadré, agir pour le reboisement des rues et des maisons, initier la multiplication d’ilots de fraîcheur dans les villes, adapter les horaires de travail, favoriser le raccordement au réseau des systèmes photovoltaïques de faible puissance, entre autres, sont autant de pistes pouvant contribuer à une transition vers l’autonomie énergétique.
La souveraineté commande de s’affranchir totalement de toute importation d’électricité, y compris dans les zones rurales, à fortiori la capitale Niamey qui doit être totalement indépendante de toute importation d’électricité à l’avenir.
Déjà, en 2019, j’alertais sur cette nécessité, en ces termes : « Est-il crédible que la capitale du Niger ne soit pas indépendante énergétiquement ? Cela pourrait être même une question de sécurité et de stabilité, au vu de l’émergence des groupes terroristes dans la région » [4]. Même dans le cadre de programmes régionaux de marché électrique, à l’exemple du WAPP [5], le Niger doit être en position exclusive d’exportateur.
Dr Abdou Tankari Mahamadou, Docteur en Génie Électrique – Énergies Renouvelables
Références
[1] https://sie.uemoa.int/sieniger/rapport/rapports/3 : consommation moyenne de 62,76kWh/an/habitant [2] https://www.donneesmondiales.com/afrique/niger/bilan-energetique.php : consommation moyenne de 51 kWh/an/habitant [3]https://www.ifdd.francophonie.org/wp-content/uploads/2021/09/Rapport-2019_SIE_UEMOA_Chiffres_Cles_NIGER_web.pdf [4]https://nigerdiaspora.net/?view=article&id=6516:de-l-urgence-energetique-au-niger-ou-l-echec-d-une-politique-energetique-pluri-decennale&catid=33 [5] https://www.ecowapp.org/fr