La « commission » au Niger, c’est la somme que l’entrepreneur qui souhaite obtenir un marché verse en dehors de tout cadre légal à l’individu en charge de l’attribution du marché pour que ce dernier consente à lui accorder le marché. C’est en fait un pot-de-vin et c’est devenu une pratique ambiante au Niger. Cri De Cigogne via Niger Stop Corruption souhaite susciter une prise de conscience sur ce phénomène qui gangrène l’économie nigérienne. L’article ci-dessous a pour objet de lancer le débat sur cette pratique. Les lecteurs sont ainsi invités à réagir en partageant leur expérience et leurs points de vue sur cette pratique, notamment sur les moyens d’endiguer ce phénomène.
C’est un secret de Polichinelle au Niger. Et, de toutes les façons, toute personne qui l’ignore et qui évolue dans le milieu des affaires au Niger l’apprendra très vite à ses dépens. Elle n’aura tout simplement pas de marché, ou en tout cas peu de marchés intéressants sans la « commission ». Nous l’appelons, quelque peu affectueusement, la « commission » mais c’est littéralement un pot-de-vin. En effet si vous voulez obtenir un marché au Niger, il faut verser 10% du montant du marché voir plus, au responsable de passation du marché ou à un intermédiaire, un « démarcheur », qui le connait bien. Et, signe du pourrissement de la situation, cela est vrai tant pour les marchés publics que désormais pour les marchés des entreprises privées et des ONGs nationales et internationales.
Le mécanisme est simple et rodé. La personne en charge d’attribuer le marché contacte le fournisseur et lui propose le marché moyennant la « commission ». Elle s’arrangera par la suite pour que le marché soit attribué au « mieux disant » non pas au profit de l’acheteur mais pour le montant de la commission qu’il va recevoir. Le standard c’est 10% du montant du marché mais ça se négocie. Certains demandent le versement d’une partie de cette « commission » avant même que le fournisseur n’ait reçu son paiement ; pour d’autres avant même l’attribution du marché, le risque étant absolu pour le fournisseur. Les gestionnaires des PME sont constamment harcelés par ces « chasseurs de commissions » qui pensent réclamer ainsi leur droit.
Les effets néfastes de la « commission » sur le développement du Niger sont multiples. Tout d’abord, la « commission » fausse le jeu de la concurrence. En effet, elle détourne l’attribution des marchés des entreprises présentant les meilleures offres de produits et services vers des entreprises plus médiocres. Elle tue ainsi dans l’œuf l’effort, l’innovation et la prise de risque. Pourquoi innover si l’on peut s’assurer le marché en payant? Pourquoi se préoccuper d’offrir un service de qualité à un prix raisonnable si ce critère n’est pas déterminant pour obtenir le marché ? La « commission » est une prime à la médiocrité. Elle décourage les entrepreneurs et les investisseurs des secteurs de production et les enferme dans une économie de rente où dominent les commerçants, les réseaux et les combines. On remarque aisément qu’il y’a peu d’industries ou d’entreprises manufacturières au Niger. Les entrepreneurs, de mauvaise foi pour certains, ou s’accommodant malgré eux de la pratique courante pour pouvoir fonctionner, se contentent de prendre un numéro d’identification fiscale (NIF), de gagner des marchés pour lesquels ils n’ont aucune compétence, de faire importer les marchandises et de les surfacturer pour récupérer l’argent engagé dans les pots-de-vin et plus.
La surfacturation peut ainsi être vue comme une conséquence néfaste généralisée par la pratique de la « commission » au détriment de l’Etat et des entreprises adjudicatrices. Pour garder ses marges, un entrepreneur n’a en effet pas beaucoup d’options. Ou bien il récupère le coût des pots-de-vin sur la qualité des produits et services livrés, ou bien il gonfle la facture pour tenir compte de la « commission ». Et, à force de jouer avec le montant écrit sur les factures, l’appétit fini par croître. Pis, ce sont souvent les responsables de marché qui demandent aux postulants de rehausser le montant de leurs offres.
Nous avons déjà évoqué le fait que la pratique de la « commission » incite les entrepreneurs à livrer des biens ou des services de moindre qualité. Cela présente des conséquences financières et organisationnelles significatives pour l’Etat et les entreprises adjudicatrices car ils doivent faire ainsi face à des coûts de maintenance et de renouvellement plus importants. Lorsque des routes bitumées se dégradent en moins de 3 ans, que des murs de classe neuve et « en dur » s’effritent lorsque vous les touchez ou que vous devez faire des allers-retours interminables chez des administrations où le matériel informatique est toujours en panne, il est clair que l’entrepreneur qui a gagné ces marchés a poussé l’économie de coûts à outrance. Il est aussi probable que les « commissions » ne soient pas étrangères à ce genre de mauvaise performance.
Pour les entrepreneurs, la « commission » est un casse-tête. Pour ceux qui ne réussissent pas à la récupérer via la surfacturation, la « commission » vient augmenter sensiblement les charges. Imaginez 10% de votre chiffre d’affaires parti en fumée. Qu’on puisse la récupérer en surfacturant ou pas, il n’y a pas de justificatif pour cette dépense. La « commission » augmente ainsi les incertitudes vis-à-vis du fisc.
Avec la pratique de la « commission », l’économie noire prospère au Niger venant aggraver le poids déjà immense de l’informel. Les TVA déclarées ne peuvent être réelles dans ces cas ; il va de soi aussi que le chiffre d’affaires réel soit minoré (et les charges majorées) entrainant de fait une baisse de l’impôt sur le résultat à la fin de l’année.
En somme, malgré qu’elle soit devenue presque une culture, la pratique de la « commission » tue à grand feu l’économie nigérienne. Elle se fait au détriment de l’Etat, des entreprises et ONGs clientes, de leurs fournisseurs et de la société nigérienne dans son ensemble. Seuls en profitent des individus qui monopolisent l’attribution des marchés et s’enrichissent sur le dos des autres pour mener un train de vie ostentatoire.
Ce problème pose de réelles questions sur l’éthique et la déontologie dans les affaires au Niger. Sa généralisation et sa banalisation en font un phénomène quasiment cautionné et toléré de fait. Cela est d’autant plus inquiétant que les administrateurs et responsables aux échelons les plus variables le pratiquent comme un fait « normal ». Il est grand temps que la société mène un débat sérieux sur ce phénomène de corruption avérée, pour qu’enfin nous avancions ensemble.